Nouvelle vie

Sur son destrier, Arawn avait fermé les yeux dès qu'ils étaient rentrés dans la ville. Cela lui faisait trop peur. Tant d'années s'étaient écoulées, tant de chose avaient dû changer.
Son cheval s'arrêta et il ouvrit les yeux. L'écuyer avait disparut et à sa gauche se dressait un grand bâtiment de pierre. Sur le frontont était écrit en une langue étrangère qu'il comprit parfaitement : "Une bibliothèque est un hôpital pour l'esprit - Bibliothèque de l'A...". Le reste avait été effacé. Cette langue était utilisée en son temps.
Il descendit de son cheval et monta les marches de la bibliothèque. Peu de gens descendaient, beaucoup montaient.
Il se dirigea vers le rayon des livres de sorcellerie. C'était un coin sombre du bâtiment et les livres que l'on y trouvait étaient vieux et poussiéreux. Une personne encapuchonnée s'approcha de lui, s'arrêta et tendit la main. Une main bleue et difforme dont cinq ongles jaunes sortaient.
"Vous possédez quelque chose qui ne vous appartient pas !
Sa voix était aigüe et cassante. Il en déduit que c'était un femme.
- Vous devez faire erreur, je viens d'arriver.
- Dans votre poche droite se rouve un livre d'un inestimable valeur contenant des sorts puissants. Je doute qu'il soit votre.
- En cela vous vous trompez, madame, il se trouve qu'il m'appartient. Après tout, cela ne vous regarde pas. J'étais venu chercher une information, mais je m'en passerais."
Sur ces mots illui tourna le dos et partit. Personne ne lui avait jamais parlé ainsi. Il sortit de la bibliothèque. "Ce monde à bien changé".
Il s'apprêtait à descendre lorsque quelqu'un s'approcha de lui.

[libre]

Le voyage avait été long. Du Syltarien à l’Alkareth, Siwÿndel était travesti en femme pour passer inaperçu, technique qui fonctionnait plutôt bien jusque là. Il avait entreprit une longue et pénible route afin d’aller à Davek’Merna, question de s’entretenir avec la déesse qu’il adorait. Se rendre à la cité flottante était probablement suicidaire, étant donné que des gardes le cherchaient toujours mais cela faisait trop longtemps à son goût qu’il n’y avait pas posé les pieds. Pourquoi il n’y avait que des temples à Davek’Merna et nulle part ailleurs?

Peut être la jeune Impératrice tenait à avoir l’exclusivité sur le ciel. De la vieille maison de sa mère à ici, le temps avait été très changeant. Il avait marché presque tout le long, sauf lorsqu’il allait sur le cheval d’un homme galant. Depuis son enfance, il avait appris à maîtriser parfaitement une voix de femme plus que convaincante. Le plus souvent il restait silencieux mais pour les urgences, c’était bien utile.

Arrivé en Alkareth, il ne reconnaissait rien. L’impression d’avoir été trompé par son ancien voyageur le submergea. Il lui avait pourtant bien dit qu’il l’emmènerait à la cité flottante… alors pourquoi était il arrivé ici, le laissant tout seul?

Poussant un soupir, le jeune elfe souleva sa robe, remit son capuchon et monta les marches de la bibliothèque de l’Alkareth. Il vit une silhouette y descendre alors que Siwÿndel eu un violent mal de tête. Cet homme était ancien, ses sens aiguisés le sentait. Pourrait-il l’aider? D’un pas plutôt mal assuré, il suivit l’étranger et un moment après, il toussota poliment et commença, avec sa voix habituelle de femme :

-Excuser moi… Messire… Pourriez-vous m’aider?

Arawn, plongé dans ses pensées ne fit d'abord pas attention à cette voix féminine. Il descendit quelques marches puis s'arrêta. Ce n'était pas normal. Il leva la tête et se retourna. Une personne encapuchonnée se présenta à lui. On ne pouvait pas voir son visage, mais à entendre sa voix, on ne pouvait que penser à une femme. Seulement, quelque chose se bloquait dans la tête d'Arawn. Ce ne pouvait pas être une femme. Pourquoi, il ne le savait pas. Il s'approcha.

"Bien le bonjour...euh...Madame, ou peut être mademoiselle, je ne le sait pas encore - il eut un petit rire forcé - En quoi puis-je vous aider ?"

Quiconque lui demanderait de l'aide dans cette ville l'obtiendrait, seulement, pourquoi lui ? Il était resté si longtemps isolé...c'était peut être ce dont lui avait parlé l'écuyer.

Lorsque l’étranger se retourna vers lui et lui adressa la parole, Siwÿndel inspira profondément. Il était rare que ses ruses ne fonctionnent pas, mais l’elfe préférait toujours que son interlocuteur soit trompé dès le premier son qui sortait de sa bouche. Rassuré par ce commencement réussi, il continua.

-Mademoiselle je vous prie. Pour tout vous dire, je suis… perdue je crois. Voyez vous Messire, je viens de Nemrela, au Syltarien et je souhaitais me rendre à la cité flottante avant qu’un arnaqueur m’emmène ici alors qu’il était sensé me déposer à Davek’Merna. Bref, je ne sais pas du tout comment retourner chez moi et je voudrais bien retrouver ce diable qui m’a emmenée ici…

Sous son apparence masculine, il était rare que l’elfe dise plus de deux phrases se suivant, en raison, non pas de sa timidité, mais plutôt puisqu’il préférait restait le plus inconnu possible. Mais lorsqu’il était déguisé en femme, il jouait un rôle, ce qui l’amusait beaucoup. Voir le visage des victimes du bluff qui ne se doutent pourtant de rien, c’était absolument hilarant.

Un sourire éclaira les lèvres de Siwÿndel, la seule partie visible de son corps. Tout allait très bien, mieux que d’habitude. Peut être allait il finalement pouvoir aller à Davek’Merna mais pour cela, il lui faudrait tout expliquer à son interlocuteur. Mais pourquoi ne savait-il rien de l’Alkareth? Avait-il perdu la mémoire? Si c’était le cas, Siwÿndel ferait mieux de le tuer et de se diriger vers quelqu’un d’autre qui pourrait réellement l’aider.

Pourtant, il sentit qu’il ne pourrait pas le tuer. Pas tout de suite. Cet homme l’intriguait… le jeune elfe voulait réellement savoir qui il était. Depuis qu’il avait rencontré plusieurs elfes en même temps, il semblait moins détester les êtres vivants. Peut être avait-il comprit que ce n’était pas tout l’Empire qui voulait lui faire du mal.

-Peut être que dans la bibliothèque se trouve une carte détaillée de l’Empire, ainsi je pourrais vous montrer l’endroit où je désire me rendre…

Il marqua une pause.

-Mais tout ce que je vous dirai sur moi ne devra pas être répété Messire… surtout pas à Davek’Merna.

Un nouveau sourire s’afficha sur son visage et il recula d’un pas vers la bibliothèque, espérant qu’Arawn en ferait autant.

Lorsqu’Arawn lâcha prise sur les épaules de Siwÿndel, il retint un sourire timide et se retourna plutôt brusquement vers les étagères de livres qui montaient jusqu’au plafond. Il dut grimper un peu sur la bibliothèque pour pouvoir atteindre le livre qu’il voulait avoir, celui dont le titre n’était qu’une série de symboles dans une langue ancienne. Peut être même une langue qui ne venait même pas de Nuadeth après tout…

Il réussit à le descendre et le laissa tomber sur l’une des tables en bois grossièrement taillées. Afin de pouvoir en distinguer les détails, il dut souffler sur la poussière qui semblait s’être accumulée sur le livre depuis plusieurs dizaines d’années. Avec grande délicatesse, il ne fallait pas briser un tel ouvrage, il l’ouvrit à la page jaunie où l’on pouvait apercevoir une carte détaillée de l’Empire. Il adressa un sourire satisfait à son accompagnateur avant de pointer les royaumes en tentant d’expliquer de son mieux.

-Voici les trois divisions principales de l’Empire; là le Syltarien, l’Aervallie et tout comme ici, l’Alkareth. Au dessus de nous flotte Davek’Merna, la cité que je cherche à rejoindre par tout les moyens. Je dois absolument aller prier la déesse qui m’a donné vie… mais le problème est que ni l’Impératrice, ni les sénateurs (qui y sont également actuellement) ne doivent entendre parler de moi là bas…

Siwÿndel regarda la carte de nouveau. Il était vrai que Davek’Merna n’y figurait pas. C’était plutôt étrange… s’était-il trompé de livre? Avant qu’il ne puisse s’expliquer à Arawn, celui-ci tournait les pages du livre. Siwÿndel observa chaque page, les yeux grands ouverts. Non, ce n’était certainement pas le bon livre.

-Je… je dois m’être trompé de livre…

Aussitôt, il plaqua sa main contre sa bouche. Réfléchir avant de parler, voilà à quoi il devait se pratiquer. Dans son étonnement, il avait complètement oublié d’utiliser sa voix féminine. Si jamais Arawn l’avait entendu, il ne voudrait probablement pas le conduire à Davek’Merna, ce qui serait affreusement ennuyeux.

L’elfe se retourna brusquement pour chercher le bon livre, croisant les doigts pour ne pas avoir été entendu. Ou du moins, qu’Arawn n’ait pas entendu la différence de voix.

Siwÿndel baissa la tête quelques instants, puis après une longue réflexion, enleva son capuchon. À quoi bon mentir? Arawn le saurait de toute manière. Mais s’il disait la vérité, il pourrait tout de même atteindre son but. Cet homme n’avait pas l’air d’un prédateur, ni de quelqu’un au service de l’impératrice. Le jeune elfe commença à parler d’une voix très basse, à peine audible :

-Siwÿndel de Nemrela. Assassin à ma propre solde. Mais si vous êtes si ancien, vous auriez pu le deviner vous-même, non?

Il commença à défaire la longue tresse de cheveux noirs tout en continuant, cette fois, de manière à être bien entendu.

-Si les elfes ne doivent pas mentir, alors j’en suis une exception. Pour survivre, j’ai dû mentir et me vêtir comme je le suis maintenant. Je vous serait éternellement reconnaissant de m’emmener à Davek’Merna puisque je le désir réellement. Vous ne pourriez tout de même pas refuser à un pauvre petit elfe comme moi le fait de pouvoir prier sa Déesse… vous ne le pourriez pas, je me trompe?